dimanche 2 juin 2013

Chronique d'une semaine particulière

Lundi 20 mai 2013
Une semaine de plus qui commence sans rien de particulier. Le service est calme. Routine. Joie de vivre. Séreintié.
Le telephone sonne : Allo? Vous allez bien?... Bin oui… pourquoi? Des combats ont repris, tout proche. Ah bon? ici rien d'anormal.
Je compte les lits de libre, fais nettoyer les tentes de reserve et installer les matelas.

Mardi 21 mai 2013
Les combats s'intensifient et se rapprochent de la ville. On nous fait rentrer tôt de l'hôpital. Réunion sécu, rappel du plan de contingence. On prépare nos sacs, on fait des réserves de nourriture, on dort avec les radios allumées.
19h : Des obus tombent sur un des camps de déplacés. Pour la première fois de ma vie j'entends au loin le bruit sourd des bombes. Étrange impression. Sentiments mélangés que je n'arrive pas à identifier. Stupéfaction qu'une force armée prenne pour cible une zone civile. Désarrois face à une violation (une de plus) du Droit Humanitaire International. Impuissance puisque cloisonnée à la maison jusqu'au lendemain.

Mercredi 22 mai 2013
Après les feux verts sécu, départ pour l'hôpital ou nous attendent 4 blessés de la veille. Visite médicale, examens, organisation, routine.
BOUM   ….    BOUM
Cette fois c'est tombé vraiment près. Que se passe-t'il ? Que faire? Faut-il rester au partir? Les blesses arrivent déjà, on se met au travail. Nous accueillont 10 blessés suite à cette explosion, dont 8 femmes et enfants.
Les deux obus sont tombés sur une église.

Jeudi 23 mai 2013
La venue de Ban Ki-moon nous offre une trêve. On soigne tous les blessés reçu hier. On fait sortir d'anciens patients pour avoir le plus de place possible au cas où…
Et ce "au cas où…" semble bien devenir le mot d'ordre qui règle ma vie en ce moment. On réapprovisionne la salle d'urgence, au cas où, on dort le mieux possible, au cas où, on se ballade avec son sac d'évacuation, au cas où, on attaque les dernières réserves de chocolat cachées au fond de l'armoire, au cas où…
Monsieur le secrétaire général des Nations Unies, merci pour cette journée de répis.

Vendredi 24 mai 2013
On attend la reprise des hostilités…qui ne reprennent pas. Rumeurs et contre-rumeurs. J'apprends à ne plus tenir compte de tout ça. Trop stressant. Vivre le moment présent me semble plus indispensable que jamais.
Je suis là, ici, maintenant. Auprès de mes collègues, aux cotés de mes patients. J'essaie de rendre ma présence efficace, rassurante, aidante.
Fin de la journée, pas d'incident. J'apprends que si les choses dégénèrent, je pars avec la première vague de restriction du personnel. Je comprends bien cette décision mais entrevois déjà l'ENORME sentiment de culpabilité qui va m'envahir si je dois "abandonner" "mon" équipe, "mes" patients. C'est le début d'un dialogue de négociation entre mon cœur et ma tête pour me préparer à partir "au cas où…"

Samedi 25 mai 2013
C'est mon WE de congé. Un peu de temps pour moi. Le lac est calme, le soleil illumine la matinée. P'tit dèj' sur la terrasse. Plus tard je vais au marché. Tomates, bananes plantains, patates douces, oignons, mandarines, pagnes (encore). Le cœur de la ville bat à son rythme normal. La vie semble tout à fait normale… sauf que. Sauf que ce cessez le feu ressemble de plus en plus à un "on se prépare". Sauf que en 2h j'ai entendu au moins 15 hélicoptères survoler le lac. Sauf que l'ombre du "au cas où…" n'est jamais loin.
J'ai la sensation de vivre un état de siège, dont l'issue peut changer d'une heure à l'autre. Un état de siège dans une forteresse de normalité.
Samedi 25 mai 2013 à Goma, c'est la guerre. Je vais préparer une tresse pour le petit déjeuner de dimanche.

Lundi 27 mai 2013
Et voilà, tout est rentré dans l'ordre. Aussi soudainement et mystérieusement qu'il avait disparu il y a une semaine, le calme est revenu. Nous pouvons à nouveau retourner sur le terrain, aider ceux qui peuvent l'être, écouter ceux qui veulent témoigner, enregistrer les atrocités.
Mélange étrange de soulagement, de découragement et de révolte.

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