samedi 21 septembre 2013

De la roche volcanique à la poussière rouge

Que d'émotions de quitter mes amis, mes collègues, mes patients de Ndosho. Comment est-ce possible que 7 mois puissent être aussi riches en nouvelles rencontres et aussi intenses au niveau des liens créés. 7 mois qui m'ont transformée, grandie. 7 mois qui m'ont établie encore plus profondément dans ce que je suis, dans ce que je deviens. 7 mois qui ont été les meilleurs de ma vie depuis longtemps. Un "au revoir" qui ressemble à un "à bientôt" puisque un mois plus tard, je suis de retour à Bukavu. Même pays, même lac Kivu, même langue, seul une centaine de km séparent ces deux villes. Pourtant j'ai l'impression de débarquer dans un autre monde. La ville est construite sur différentes collines qui s'avancent dans le lac pour former différentes péninsules. Une ville qui ressemble à un immense chantier, on dirait qu'au moins 50% des maisons sont en construction. Une ville qui n'est pas volcanique comme Goma, mais terreuse. Les jours de soleil la poussière s'envole et recouvre tout donnant une couleur terne au paysage. Les jours de pluie, la boue se répand dans les moindres recoins et crépis d'ocre les véhicules, les chaussures (à talons, classe congolaise oblige), les habits. Dans certains quartiers lors des grosses pluies, les rues se transforment en rivière de boue, parfois les passants en ont jusqu'aux genoux. Bukavu ressemble à une ville villégiature avec ses airs de vacances, on s'y sent un peu dans une bulle. Alors que Goma est un point névralgique des tensions du Nord-Kivu avec notamment la crise M23, Bukavu est comme une oasis de calme et de normalité parmi le foisonnement de nids conflictuels au Sud-Kivu. Si je me sens vraiment dans un autre monde par rapport à l'Europe, je me sens aussi complètement dans un autre monde par rapport aux zones rurales environnantes. Au revoir Goma. Ta force minérale et sauvage va me manquer. Bonjour Bukavu. Je me réjouis d'apprendre à vivre à ton rythme. Mes amis, la vie est un voyage et le chemin qui m'a mené de Goma à Bukavu est un mois de juillet ensoleillé passé avec vous. Merci pour tous ces beaux moments qui m'ont fait me sentir "à la maison". Je réalise que même si je n'ai plus d'appartement, de lieu de chute, de petit nid "à moi" pour poser mes valises, qu'importe puisque j'habite dans vos cœurs et que c'est là que je me sens bien.

dimanche 2 juin 2013

Spider's Web


If a black man is racist, is it tokay?
When it's the white man's racism that made him that way,
Because the bully's the victim they say,
By some sense they're all the same.

Because the line between wrong and right is the width of a thread from a spider's web.
The piano keys are black and white but they sound like a million colours in your mind.

I could tell you to go to war,
Or I could march for peace and fighting no more.
How do I know which is right?
And I hope he does when he sends you to fight.

Because the line between wrong and right is the width of a thread from a spider's web.
The piano keys are black and white but they sound like a million colours in your mind.

Should we act on a blame?
Or should we chase the moments away?
Should we live?
Should we give?
Remember forever the guns and the feathers in time.

Because the line between wrong and right is the width of a thread from a spider's web.
The piano keys are black and white but they sound like a million colours in your mind.

Auteur et intreprète : Katie Melua

Chronique d'une semaine particulière

Lundi 20 mai 2013
Une semaine de plus qui commence sans rien de particulier. Le service est calme. Routine. Joie de vivre. Séreintié.
Le telephone sonne : Allo? Vous allez bien?... Bin oui… pourquoi? Des combats ont repris, tout proche. Ah bon? ici rien d'anormal.
Je compte les lits de libre, fais nettoyer les tentes de reserve et installer les matelas.

Mardi 21 mai 2013
Les combats s'intensifient et se rapprochent de la ville. On nous fait rentrer tôt de l'hôpital. Réunion sécu, rappel du plan de contingence. On prépare nos sacs, on fait des réserves de nourriture, on dort avec les radios allumées.
19h : Des obus tombent sur un des camps de déplacés. Pour la première fois de ma vie j'entends au loin le bruit sourd des bombes. Étrange impression. Sentiments mélangés que je n'arrive pas à identifier. Stupéfaction qu'une force armée prenne pour cible une zone civile. Désarrois face à une violation (une de plus) du Droit Humanitaire International. Impuissance puisque cloisonnée à la maison jusqu'au lendemain.

Mercredi 22 mai 2013
Après les feux verts sécu, départ pour l'hôpital ou nous attendent 4 blessés de la veille. Visite médicale, examens, organisation, routine.
BOUM   ….    BOUM
Cette fois c'est tombé vraiment près. Que se passe-t'il ? Que faire? Faut-il rester au partir? Les blesses arrivent déjà, on se met au travail. Nous accueillont 10 blessés suite à cette explosion, dont 8 femmes et enfants.
Les deux obus sont tombés sur une église.

Jeudi 23 mai 2013
La venue de Ban Ki-moon nous offre une trêve. On soigne tous les blessés reçu hier. On fait sortir d'anciens patients pour avoir le plus de place possible au cas où…
Et ce "au cas où…" semble bien devenir le mot d'ordre qui règle ma vie en ce moment. On réapprovisionne la salle d'urgence, au cas où, on dort le mieux possible, au cas où, on se ballade avec son sac d'évacuation, au cas où, on attaque les dernières réserves de chocolat cachées au fond de l'armoire, au cas où…
Monsieur le secrétaire général des Nations Unies, merci pour cette journée de répis.

Vendredi 24 mai 2013
On attend la reprise des hostilités…qui ne reprennent pas. Rumeurs et contre-rumeurs. J'apprends à ne plus tenir compte de tout ça. Trop stressant. Vivre le moment présent me semble plus indispensable que jamais.
Je suis là, ici, maintenant. Auprès de mes collègues, aux cotés de mes patients. J'essaie de rendre ma présence efficace, rassurante, aidante.
Fin de la journée, pas d'incident. J'apprends que si les choses dégénèrent, je pars avec la première vague de restriction du personnel. Je comprends bien cette décision mais entrevois déjà l'ENORME sentiment de culpabilité qui va m'envahir si je dois "abandonner" "mon" équipe, "mes" patients. C'est le début d'un dialogue de négociation entre mon cœur et ma tête pour me préparer à partir "au cas où…"

Samedi 25 mai 2013
C'est mon WE de congé. Un peu de temps pour moi. Le lac est calme, le soleil illumine la matinée. P'tit dèj' sur la terrasse. Plus tard je vais au marché. Tomates, bananes plantains, patates douces, oignons, mandarines, pagnes (encore). Le cœur de la ville bat à son rythme normal. La vie semble tout à fait normale… sauf que. Sauf que ce cessez le feu ressemble de plus en plus à un "on se prépare". Sauf que en 2h j'ai entendu au moins 15 hélicoptères survoler le lac. Sauf que l'ombre du "au cas où…" n'est jamais loin.
J'ai la sensation de vivre un état de siège, dont l'issue peut changer d'une heure à l'autre. Un état de siège dans une forteresse de normalité.
Samedi 25 mai 2013 à Goma, c'est la guerre. Je vais préparer une tresse pour le petit déjeuner de dimanche.

Lundi 27 mai 2013
Et voilà, tout est rentré dans l'ordre. Aussi soudainement et mystérieusement qu'il avait disparu il y a une semaine, le calme est revenu. Nous pouvons à nouveau retourner sur le terrain, aider ceux qui peuvent l'être, écouter ceux qui veulent témoigner, enregistrer les atrocités.
Mélange étrange de soulagement, de découragement et de révolte.

lundi 27 mai 2013

La route du bonheur

"Moi je cherche une autre route, ma route du bonheur, celle que je prendrai pieds nus, en pleins soleil, même si le goudron me brûle. J'arriverai loin, très loin, là où toutes les routes du monde se croisent, là où on retrouve les gens qui nous ont quittés et qui n'ont plus le même visage comme lorsqu'on les avait connus sur Terre. Cette route-là je dois bien la garder dans ma tête, je ne veux pas qu'elle n'existe plus quand je serai grand sinon je vais me perdre au milieu des gens méchants qui ne m'aiment pas et qui cherchent à me faire du mal.
Sur cette route je marcherai alors comme les crabes qui se baladent sur le sable de notre Côte sauvage : on croit qu'ils vont aller à gauche, ils font demi-tour, ils s'arrêtent sans savoir pourquoi, ils tournent en rond, et ils repartent en vitesse vers la droite avant de revenir à gauche. Mais ce que j'aime chez les crabes c'est qu'ils savent toujours où ils vont aller, et ils finissent par arriver tôt ou tard alors qu'ils ont plusieurs pattes qui ne sont jamais d'accord entre elles et qui n'arrêtent pas de se chamailler en cours de route. Quand je prendrai cette route du bonheur je saurai alors que j'ai enfin grandi…"

Extrait de "Demain j'aurai vingt an", d'Alain Mabanckou

vendredi 29 mars 2013

Blessé de Guerre

K. 45 ans, blessé de guerre




S. 42 ans, blessé de guerre


S. ? ans, blessé de guerre



Ange, 14 ans blessée de guerre



Petit Prince, 8 ans blessé de guerre




E. 17 ans, blessé de guerre


Exaucé 6 ans et Eden 8 ans, blessés de guerre



Colère!


Il y a des jours, comme ça, où sans crier gare, un événement qui pourrait être anodin à un autre moment de votre vie ou pour quelqu’un d’autre, à sur vous l’effet d’une bombe et fait exploser votre cœur. 
C’est ce qui s’est passé ce jour-là, le jour ou mon attention a été attirée dans la tente d’hospitalisation des enfants par des bruits anormaux et ou j’ai trouvé ce petit garçon de 7 ans en train de regarder sur un téléphone portable les scènes de combats d’il y a un mois. Si certaines images ne devraient pas être vue par une infirmière suisse, je ne pense pas qu’elles le devraient d’avantage par un petit congolais de 7 ans.
Choc.
Incompréhension.
Puis, cette colère qui ne me quitte plus depuis une semaine.
Colère contre cette mère qui laisse son enfant regarder ça.
Colère contre la guerre.
Colère contre les hommes qui font la guerre.
Colère contre la durée de cette guerre qui fait que certaines générations n’ont connues que ça et ne savent vivre que comme ça.
Colère contre ce qui est devenu la norme et qui est insupportable.
Colère contre ceux qui de près mais surtout contre ceux qui loin alimentent cette guerre et en profitent.

La guerre est abstraite, loin, sur le terrain.
La guerre existe, je le SAIS.
La guerre a des conséquences, des victimes que je soigne chaque jour.
La guerre existe, je le VOIS.
La guerre éclate dans mon cœur, explose, me déchire, me torture, me confronte : je ne soigne pas que des victimes, mes patients sont en grande partie les auteurs de ces atrocités.
La guerre existe, je la VIS.

Il y a des jours, comme ça, où un événement qui pourrait être anodin vous brise, vous met à terre, vous jette dans une impasse pour vous confronter à vous-même, à vos limites, à votre humanité, à vos fragilités, à votre grandeur d’âme qui semble soudain bien petite.

Et puis il y a cette Paix.
Cette Paix qui descend sur vous légère comme la caresse d’une plume pour appaiser la colère.
Il y a cette Paix qui chuchote à mon oreille que tout cela ne peut pas être mon fardeau.
Cette Paix qui me tend la main et me demande de continuer de travailler pour elle.

Il y a des jours, comme ça, où on est plus tout à fait la même personne qu’avant. Plus humble, ébranlée. Mais grandie.

dimanche 3 mars 2013

Un lundi parfait


La journée a commencée bizarement avec un de ces rêves de fin de nuit de pleine lune. Un groupe armé attaquait ce qui ressemblait à un hôpital dans lequel je semblais travailler et je cherchais despérement la safe room en traînant un gamin avec moi (serait-ce le moment de prendre des vacances ?). Mais je retrouve vite le train train de la réalité avec un café, une tartine de nutella sur la terrasse ensoleillé et le bavardage des mes colloc’ (oui, je sais, c’est dur la vie).

7h50 : Départ à l’hôpital, à l’arrière de la Land Cruiser je suis secouée dans tous les sens, mais je repense à ma grand-mère ET à la méthode Pilates et je me tiens droite comme un i en faisant travailler ma musculature protonde (sisi, j’ai des muscles… tout là-bas en dessous). 



8h05 : Arrivée à l’hôpital, je colle une bise à Mama Lili qui arrive dans son beau pagne et salue les 6 patients qui prennent le soleil du matin devant le service. Tout près de la porte de mon bureau sur le banc, il y a Chimène (8 ans), en pleur, un vilain gamin lui a lancé une pierre sur la tête et elle a une grosse bosse. De grosses larmes ne cessent de couler sur ses joues sans qu’aucun bruit ne s’échappe de son visage triste, ça me fait mal au cœur, je lui fais un gros calin.
On se change en vitesse et le travaille commence. Je discute avec les infirmières pour organiser la matinée lorsque je sens une emprise sur ma cuisse gauche… ça y est, je ne suis pas arrivée depuis 15 minutes que Grâce m’a déjà repéré et mis le grappin dessus.

8h30 : Tour de  salle, on passe voir chaque patient pour faire le point sur la situation. 42 lits sur 60 sont occupés, les combats ont repris de part et d’autres, nous avons reçu 10 nouveaux patients la semaine passée. Le plus jeune à 10 ans, le plus âgé 35. Grâce est toujours suspendu à ma main par la sienne, par moment j’y suis tellement habituée que je ne le remarque même plus.

9h : Il est temps de commencer les pansements, je m’accroupi pour dire à Grâce qu’il doit me laisser, que je dois travailler. Comme d’habitude il ne dit rien (je connais à peine le son de sa voix) mais il passe ses petits bras autour de mon coup et pose sa tête sur ma poitrine… je fonds… et le refile à Papa Celestin qui est le radiologue et à son bureau juste en face du mien.


Je suis contente, je travaille avec Mwenge, une de mes infirmières préférées, je suis dans des chambres dont je ne me suis pas occupée depuis longtemps, les plaies ont évoluées de façon incroyables ! J’hallucine sur les résultats. Vive les pansements au sucre et chapeau bas au personnel qui a fait un travail excellent ! Je suis toute fière de mon équipe, ils se donnent énormément de peine pour appliquer les nouveaux protocoles que nous leur enseignons, et ça les motive aussi de voir les résultats.

10h : Il faut aller au bloc opératoire chercher le premier patient qui a fini la chirurgie, l’anesthésie n’est pas encore tout à fait dissipée… j’ai droit aux plus beaux sourirs et aux yeux doux d’un jeune coq.

10h30 : Je rencontre une ancienne patiente, Tingwa, 16 ans, elle vient en consultation. Malheureusement souffre d’une ostéomyélite chronique depuis plusieurs années, son tibia est tout dévormé et sa plaie ne veut toujours pas se fermer : beaucoup de patience… et de sucre.



11h : Certains pansements sont si douloureux qu’on les fait sous anesthésie. J’emmène Léonard au bloc, Mwenge fait son premier « pansement façon bloc opératoire » et s’en sort très bien, la plaie est en bonne évolution (est-ce que j’ai déjà dit que j’étais fière ?). En ramenat le patient dans sont lit j’ai encore droit à des « merci » et des « Dieu vous bénisse », ça me remplit.



Le temps file, je suis absorbée par une multitude de petites tâches à droite et à gauche : du rangement, de la paprasserie, discuter, négocier, rigoler, remettre à l’ordre… Soudain je suis interrompue par cette annonce : la maman de Fabrice est arrivée ! Je me précipite dans la chambre de Fabrice et le trouve en larme, tout sourir, une femme debout près de lui qui a les mêmes traits de visage et un bébé collé dans le dos. Fabrice est là depuis plus d’un mois, seul. Incapable de nous dire le nom de ses parents ou de son village car aphasique suite a un éclat de balle reçu au cerveau. Après 1 mois de recherche sa mère l’a enfin retrouvé. C’est la joie pour toute l’équipe et pour les autres patients qui se sont attaché à ce jeune patient.

13h : Je vais boire un verre d’eau. Lavie passe devant la salle de pause avec son petit sac à dos, il rentre à la maison, dans sa famille qui’il a retrouvé à Goma. Je lui sers la pince, il me dit « je pars ». Il a l’air heureux. Je le suis aussi.


14h30 : La voiture avec les repas arrive enfin, je repars directement avec elle j’ai une réunion au bureau. Et là (honte à moi) fini les pensées « tiens toi droite » de Mère-Grand ou de Pilates, ma seule préoccupation est de réussir à manger le contenu de mon Tupper sans en mettre partout (miam = salade de chou, ratatouille, poulet au curry et pommes de terre).

15h : Mon premier « réseau ». Je retrouve la protection de l’enfance et la responsable du programme d’appareillage orthopédique pour parler de la situtation de Tingwa que j’ai vu ce matin à l’hôpital. La réunification familiale doit être faite bientôt et il faut organiser les soins pour le retour à la maison.

16h30 : Je fais ce que je préfère : l’administratif ! Imprimer les horaires pour mars, faire des commandes de matériel et de médicaments, … bref je m’éclate…




17h30 : On prend la route pour rentrer, c’est moi qui conduit (si si), coucher de soleil sur la route du port. A bord 3 autres personnes dont mon D’Atragnan à moi (du calme les filles, il est marié) que je n’ai pas vu depuis 3 semaines, on en profite pour faire notre ½ heure gossip… mais comme notre petit univers est plutôt calme de ce coté-là en ce moment, on utilise notre imagination et c’est bien plus drôle.

18h : Je fais un tour au jardin. Le lac est magnifique. Une vraie invitation. PLOUF !
Elle est pas belle la vie ?